« NOUS CHERCHONS À DÉVELOPPER LE REVENU PAR LA VALEUR AJOUTÉE »
INSTALLÉS SUR UNE STRUCTURE D'EXPLOITATION FAMILIALE AVEC PEU DE POSSIBILITÉS D'AGRANDISSEMENT, BERNARD ET EMMANUEL MISENT SUR L'OPTIMISATION DE L'EXISTANT À TRAVERS LA MAÎTRISE DES CULTURES FOURRAGÈRES ET LA QUALITÉ DU LAIT DE LA RACE BRUNE.
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SITUÉE À UNE QUARANTAINE DE KILOMÈTRES D'ANGERS, dans la petite région des Mauges, l'exploitation de Bernard et Emmanuel Godineau repose sur une surface de 61 ha et un quota laitier de 366 000 l. C'est une structure de taille relativement modeste pour une association père-fils, compte tenu de l'absence d'atelier complémentaire, à l'exception d'une dizaine d'hectares de céréales. L'évolution de la ferme familiale est d'ailleurs récente car, jusqu'en 2004, celle-ci était bloquée à 32 ha et 210 000 l de quota. Il est vrai que la pression foncière est forte sur ce territoire appelé « petite Bretagne » en raison d'un tissu d'exploitations dense et diversifié et d'une dynamique laitière forte.
« J'AI REMIS EN CAUSE L'INTENSIFICATION À LA FIN DES ANNÉES 80 »
Cette année-là, Bernard est seul chef d'exploitation et il saisit l'occasion de reprendre 28 ha de terres irriguées avec une retenue d'eau de 15 000 m3. Cette nouvelle disponibilité fourragère justifie alors l'achat de quotas supplémentaires, par le biais du dispositif TSST, afin de permettre l'installation d'Emmanuel qui, en septembre 2009, obtiendra une rallonge de 100 000 l à cette occasion.
En 1976, lorsque Bernard s'installe, il dispose de 22 ha. Seul sur la ferme, puisque son épouse travaille à l'extérieur, il ne s'engage pas, comme de nombreux agriculteurs des Mauges, dans une filière d'élevage hors sol et limite la diversification à quelques hectares de tabac. L'optimisation du revenu repose alors sur l'intensification fourragère à travers une rotation maïs-ray-grass d'Italie, un recours important à la fertilisation azotée et une productivité laitière soutenue, faisant la part belle aux concentrés de production. « Si on travaillait aujourd'hui de la même manière, il ne resterait plus beaucoup de revenus en fin d'exercice, sourit Bernard, du haut de ses trente-six années d'expérience. Produire pour produire, c'est un schéma que j'ai abandonné à la fin des années 80 pour revenir à des principes de respect du sol et du métabolisme animal. »
Entre 1989 et 1991, trois années de sécheresse successives remettent en question la durabilité d'une conduite très dépendante des achats extérieurs. L'arrêt de la culture du tabac et la reprise d'une dizaine d'hectares au tournant des années 90 autorisent alors une réorientation du système fourrager. « À cette époque, j'ai semé des parcelles de ray-grass anglais pour introduire une part de pâturage dans l'alimentation des vaches. J'ai alors perdu un peu en productivité laitière (8 500 l/VL) au bénéfice d'une meilleure santé du troupeau et d'une moindre dépendance vis-à-vis des achats d'aliments. »
« UNE VRAIE RACE LAITIÈRE SPÉCIALISÉE »
Presque dix ans après ce processus de « désintensification », Bernard découvre la race brune à l'occasion du Space. Séduit par le niveau de matière protéique de son lait, il décide d'assister à l'assemblée générale de la Fédération brune de l'Ouest, organisée en 1999 dans le Maine-et-Loire. « C'est une race dont on parlait très peu dans le département, où il n'y avait qu'une quarantaine de vaches inscrites au contrôle laitier, se souvient-t-il. J'ai découvert une race spécialisée, proche de la holstein en termes de gabarit et de production, dont les performances ont rapidement éveillé mon intérêt. Car dans un secteur géographique sans réelles possibilités d'attributions de quotas, la seule option pour augmenter le revenu passait par le taux protéique. Or, je stagnais à 31 de TP avec mon troupeau holstein. »
« LE TROUPEAU HOLSTEIN ABATTU POUR CAUSE D'ESB »
La même année, avec une liste de contacts en main, il prend quelques jours de congés en Côte-d'Or pour visiter des exploitations. « J'ai été surpris par la qualité des animaux. Pas seulement par le TP, mais aussi par leur rusticité permettant de valoriser des systèmes d'alimentation simples, fondés sur l'ingestion des fourrages. Sur place, j'ai donc acheté mes deux premières génisses brunes. »
Ce qui va précipiter le changement de race, c'est l'abattage total du troupeau, fin 2000, pour cause d'ESB.
« Le 28 mars 2001, par l'intermédiaire d'une coopérative locale - Les éleveurs du pays vert - je me suis rendu dans le Cantal pour acheter 25 brunes à un éleveur qui cessait son activité. En complément, j'ai également acheté des génisses pleines en provenance de la Côte-d'Or. »
Lorsqu'Emmanuel s'installe en 2009, il introduit à nouveau des génisses dans le troupeau pour répondre à l'augmentation du quota. Son projet prévoit le prolongement du bâtiment qui passe de 40 à 55 places en logettes et la construction d'un silo-couloir. La mise aux normes réalisée à cette occasion inclut l'agrandissement de la fumière extérieure et la construction d'un bassin tampon de sédimentation pour les jus de fumière et les eaux de salle de traite, épandues par aspersion sur les prairies. Le coût de ces aménagements s'élève à 60 000 €, grâce à une part importante d'autoconstruction.
« L'ORGANISATION COLLECTIVE AU SEIN DE LA CUMA EST ESSENTIELLE »
La nouvelle disponibilité en main-d'oeuvre sur la ferme et la présence de la Cuma de l'Arc-en-ciel confortent une politique d'investissements raisonnée. « À l'exception du tracteur et de la désileuse, tout le matériel de travail du sol et de fenaison est en Cuma, explique Emmanuel. Cette organisation collective est essentielle. Elle nous permet de disposer de matériel performant avec notamment de grandes largeurs de travail pour la fenaison. » Sur la ferme, on ne trouve ni mélangeuse ni racleur électrique, et la salle de traite 2 x 4 sans décrochage automatique remonte à l'époque de l'installation de Bernard. Cette bonne maîtrise de l'équipement a permis de limiter le taux d'endettement (42 %) pour investir pour un montant de 100 000 € dans deux centrales photovoltaïques de 80 m2 placés sur la stabulation. Le retour sur investissement est espéré en douze ans.
En attendant l'installation d'un troisième panneau, la marge nette dégagée cette année par l'activité photovoltaïque s'est élevée à 2 922 €.
« LA BRUNE EST MOINS PRÉCOCE QUE LA HOLSTEIN »
En 2012, le troupeau compte 49 vaches à 2,7 lactations de moyenne, dont 29 % de primipares. « Il s'agit d'un troupeau relativement jeune car j'ai intégré beaucoup de génisses lors de mon installation », précise Emmanuel. Les génisses sont élevées sur une aire paillée et elles vêlent en moyenne à 28,6 mois. « La brune est un peu moins précoce que la holstein. C'est pourquoi nous étions partis initialement sur des vêlages à trois ans. Mais nous nous sommes retrouvés avec des animaux trop gras au moment de l'insémination, ce qui a engendré des problèmes de fécondité. Le vêlage à deux ans et demi apparaît comme un bon compromis. Il crée un décalage dans les périodes de mise bas, qui facilite une répartition plus régulière des livraisons de lait tout au long de l'année. »
Directeur de l'OS Brune (BGS), Olivier Bulot confirme cet écart de précocité de trois à quatre mois. « L'âge moyen au vêlage dans les élevages les plus performants se situe entre 24 et 26 mois. Cette stratégie a un coût en termes de complémentation, qui dépend des objectifs de l'éleveur. Dans la pratique, nous recommandons de viser entre 24 et 30 mois. Au-delà, il n'y a pas de gain à attendre sur la performance et la longévité des futures laitières. » Sur la ferme, l'âge au vêlage correspond à la volonté des éleveurs de valoriser au maximum les fourrages produits. Ainsi, de 6 mois jusqu'à la mise bas, la ration se compose pour deux tiers d'ensilage de ray-grass d'Italie, un tiers de foin, 200 g de correcteur et des minéraux. C'est aussi à partir de 6 mois que les génisses ont accès au pâturage, avec toujours du foin en libre-service et un complément de céréales.
« UNE RATION COMPLÈTE SANS CONCENTRÉ DE PRODUCTION »
La mise à la reproduction dès l'âge de 16 mois est assurée par insémination artificielle. « La brune est une race internationale qui offre une grande diversité dans le choix des taureaux. Nous utilisons environ 65 % de génétique française et surtout jamais de taureaux détériorateurs en TP, car c'est là que se trouve la valeur ajoutée. Nous sommes naturellement attentifs aux caractères fonctionnels, mais nous nous gardons d'utiliser des taureaux hors normes, trop améliorateurs en lait, afin de limiter le déficit énergétique du début de lactation. Car notre objectif est de maintenir un TP élevé avec une faible quantité de concentrés. » En effet, si la brune a des caractéristiques proches des holsteins en termes de rationnement, il faut cependant tenir compte des taux de matière utile élevés de la race qui nécessite, pour exprimer son plein potentiel, un peu plus d'énergie et d'azote qu'une vache produisant un lait à 40 de TB et 32 de TP.
À titre d'exemple, une brune produisant 30 l à 44 de TB et 36 de TP a les mêmes besoins en UFL qu'une vache produisant 33 l à 40 de TB et 32 de TP. Sur l'exploitation de Bernard et Emmanuel, le niveau d'étable de 7 484 l/VL, pour 45,6 de TB et 36,2 de TP, est obtenu sur la base d'une consommation de 1 488 kg de concentré par vache laitière, sans fermeture du silo de maïs. En effet, malgré une surface pâturable de 24 ares/VL directement accessible depuis les bâtiments, les laitières conservent toujours au moins 4 à 5 kg de maïs à l'auge au printemps. En été, la sécheresse estivale ne permet plus de miser sur l'herbe pâturée. « Dès le 15 juin, les vaches reçoivent quasiment une ration hivernale. La quantité de correcteur est alors adaptée à la quantité d'herbe disponible en se calant sur l'observation des bouses et du taux d'urée du lait (250 mg/l minimum). »
« LE RÉSULTAT SE FAIT AU NIVEAU DES FOURRAGES »
La ration complète, distribuée deux fois par jour et équilibrée pour 27 kg de lait, se compose de 14 kg de maïs, 2 kg d'ensilage de RGI, 1,5 kg de foin ou d'enrubannage de luzerne et 3,5 kg de correcteur (60 % colza-40 % soja). « La capacité de la brune à valoriser les fourrages permet de ne pas distribuer de concentré de production », souligne Bernard. Pour Nicolas Lucas, conseiller d'Osmos'Elevage (Contrôle laitier), la différence se joue principalement au niveau de la qualité des fourrages. « Au-delà de l'autonomie fourragère de l'exploitation, l'irrigation est un élément déterminant pour la qualité du maïs. En répondant aux besoins de la plante en période de déficit hydrique, elle favorise un rapport grains-tige élevé et le remplissage des grains pour des taux d'amidon qui dépassent 30 %. Ceci explique l'absence de concentré dans la ration. » Une grande précaution est également apportée à la récolte en foin de la luzerne pour laquelle les éleveurs ont investi dans un retourneur d'andains. Pour diversifier les sources d'énergie issues des fourrages, avec un apport de sucres rapides, 1,2 ha de betteraves a été planté cette année avec l'aide d'un voisin qui maîtrise bien cette culture. « Notre objectif est de monter jusqu'à 8 000 l par vache laitière et 37 de TP à partir des fourrages produits sur la ferme, pour se stabiliser après la fin des quotas autour de 400 000 l de lait livré, explique Emmanuel. Le développement de la production nécessitera un investissement en bâtiment qui ne pourra être envisagé qu'en fonction du prix du lait. »
Dans ce contexte, le jeune éleveur et son père ont désormais trois années devant eux pour préparer le départ à la retraite de Bernard.
JÉRÔME PEZON
Emmanuel met l'accent sur la facilité de vêlage de la race brune, la qualité de son lait et un critère plus subjectif qui accompagne sa réputation : « Ce sont des animaux dociles, faciles à vivre. »
« Investir pour quelle rentabilité ? » La salle de traite 2 x 4 sans décrochage de 1976 symbolise une politique d'investissements maîtrisés. Avec un temps de traite qui n'excède pas 1 h 30 et surtout une très bonne maîtrise de la qualité du lait, les associés n'ont pas jugé prioritaire de renouveler l'installation.
« Deux heures d'astreinte matin et soir pour deux personnes » Bernard prépare la ration dans la désileuse, en l'absence de bol mélangeur, « parce que la ration ne justifie pas cet investissement ».
« Tétines obligatoires » pour faire boire les veaux bruns. À partir du deuxième mois, les veaux sont nourris avec une buvée par jour, disposent de foin de luzerne à volonté et d'un aliment du commerce.
L'ancien séchoir à tabac reconverti pour le logement des petites génisses après la phase d'élevage en cases individuelles.
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